Ce que j’en pense: Le miroir sans tain
Par Said Adel
Hier, j’ai eu la visite d’un fantôme. Ce n’était pas un fantôme à la « Scrooge » de Dickens, moralisateur et réprobateur, plein de bons sentiments et voulant ramener la personne qu’il harcèle vers le droit chemin. Ce n’était pas non plus un fantôme à la japonaise où une servante lâchement assassinée par des samouraïs revient hanter un puits, par vengeance. C’était encore moins un fantôme à l’écossaise, traînant de lourdes chaînes dans les couloirs sombres d’un vieux château en hurlant sur d’indus héritiers… Le fantôme qui m’a rendu visite hier était triste et froid comme une nuit d’hiver.
Enfant, j’adorais écouter ma grand-mère nous raconter, à la lumière de bougies, les interminables histoires de « nana el Ghoula ». Histoires fantastiques que mon imaginaire d’enfant amplifiait de cauchemars que cette vénérable aïeule venait dissiper avec une lourde promesse de ne plus rien dire. La peur s’évanouissait et toute la journée durant j’attendais la tombée de la nuit pour entendre la suite de l’histoire ou tout simplement une énième écoute qui se faisait avec le ridicule espoir que la fin serait différente.
Non, le fantôme qui a traversé ma nuit n’avait aucun rapport avec les histoires de ma grand-mère ou celles d’autres contrées. Ce fantôme me ressemblait et ne cessait de me dévisager à tel point que je fus pris d’une angoisse si forte qu’elle me laissa sentir que je quittais mon corps. Mais, il n’en fut rien, continuant de me fixer intensément comme s’il voulait me pétrifier. Il était là, immobile et pâle. Ses yeux étaient grand ouverts et son regard ne dégageait qu’un vide profond et froid. Plus je le regardais, même si c’était d’une manière fuyante, plus je me rendais compte qu’il était moi.
Je ne comprenais pas. Aucun mot ne sortait de sa bouche et j’avais l’impression d’être en face d’un miroir sans pour autant pouvoir définir les contours de ce visage émacié tant il faisait noir dans ce silence d’Horla. Il me faisait face et peu à peu je rassemblais mon courage pour lui crier qu’il n’était pas moi, qu’il n’était que le fruit de mon imagination ou au pire un simple cauchemar. Il restait là impassible devant une colère qui se transforma bientôt en détresse. Détresse de ne pas être entendu, détresse d’être confondu avec un fantôme bien que vivant.
Vivant, je l’ai été. Je l’ai été quand mon sourire était offert même aux inconnus, dussent-ils ne pas me le rendre. Je l’ai été quand je ressentais le malaise des petites gens au premier regard, sans qu’ils aient besoin de baisser les yeux. Je l’ai été quand la vue d’un enfant au corps famélique m’empêchait d’avaler la moindre nourriture pendant des heures. Je l’ai été quand au lieu de courir sans cesse après une vie plus facile, plus copieuse je prenais le temps de regarder le dénuement de ceux qui avaient moins de chance. Je l’ai été quand…
C’était avant… bien avant de devenir triste et froid.