Ce que j’en pense: Une belle laideur

Par Said Adel

Depuis sa plus tendre enfance, on lui avait dit qu’elle était laide. Elle ne s’en souvenait pas, mais on lui raconta plus tard que même bébé, on ne s’empressait guère à l’enlacer, à lui faire des guili-guili ou tout simplement à l’embrasser. Seuls ses parents, un vieux couple de Bni Senous, mariés sur le tard, lui offraient un peu de tendresse. Une tendresse mesurée et pleine de retenue comme à la campagne où, montrer son attachement ou ses sentiments n’était pas du tout envisageable.
Elle grandit au milieu des brebis, chèvres et autres poules que ses parents élevaient sur ce bord d’oued niché au flanc d’une colline boisée où il faisait bon vivre, où il faisait bon respirer. Ses premiers pas furent heureux. Elle avait pour unique miroir les yeux de ses parents et ceux de ces innocentes créatures avec lesquelles elle passait ses journées à jouer, à courir dans tous les sens en n’oubliant jamais de leur prodiguer une dernière caresse, une dernière attention avant d’aller dormir. Les bêtes le lui rendaient bien en venant chaque matin attendre son apparition devant l’enclos.
A l’âge de six ans, il fallut aller à l’école. Aucune main ne vint tenir la sienne quand il fallut se mettre deux par deux pour rejoindre la salle de classe. Elle s’installa instinctivement au fond et dut faire face toute la matinée durant à ces petites têtes bien coiffées qui ne cessaient de se retourner pour la dévisager et glousser en se couvrant les yeux de leurs mains. Elle ne comprenait pas et restait concentrée sur les paroles de la maîtresse dont le regard était, quant à lui, fuyant et mêlé d’une répugnance à peine voilée.
Toute sa vie se passa comme cette première matinée d’école. Entre les moqueries, offenses et vexations des garçons et filles de son âge ainsi que le dédain pernicieux des adultes qui, à sa vue, allaient parfois même jusqu’à demander pardon au Tout-puissant. Elle ne se fit jamais d’amis car il lui aurait fallu trouver un plus laid, une plus laide et il n’en existait pas dans les environs du village où elle était devenue une référence pour imager la laideur.
Pourtant du haut de ses vingt ans et au milieu de ses bêtes, elle se sentait belle. Elle se sentait belle car elle avait réussi à garder sa joie de vivre et son rire éclatant. Elle avait réussi à ne pas se morfondre dans cette tristesse et ces larmes qui finissent par durcir le cœur. Elle avait réussi à ne pas devenir acariâtre et hargneuse au milieu d’une méchanceté quotidienne habillée d’une laideur bien plus profonde que celle qui couvrait son corps.

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