Les principaux indicateurs de la notation souveraine – Première partie
Par Dr Adda Guecioueur*

Les Agence internationales de notation souveraine, dont Moody’s, S&P et FitchRatings, s’appuient sur une série de facteurs internes et externes qu’elles ont développés pour attribuer une notation pour la première fois mais aussi pour la maintenir, l’augmenter et la diminuer à l’avenir. C’est là l’objet de notre article qui s’étalera sur trois parties.
Nous présentons ces facteurs pour permettre aux lecteurs et lectrices d’Algérie Presse de comprendre le processus de la notation conventionnelle elle-même, objet du deuxième article, et aussi et surtout comprendre le cas de l’Algérie qui fera l’objet du troisième article. Ce sont ces facteurs qui seront pris en considération pour la probable notation de l’État algérien et donc, il faut se préparer dès maintenant pour avoir la meilleure notation possible. Car de cette notation dépendra l’accès de l’Algérie aux marchés financiers internationaux et surtout les conditions d’un tel accès potentiel.
Le secteur interne
Les six facteurs internes sont : les risques politiques et sociaux ; la structure de l’économie ; la croissance économique potentielle (goulets d’étranglement) ; la stabilité fiscale (politique fiscale) ; la dette souveraine interne et la stabilité monétaire (politique monétaire)
1- Risques politiques et sociaux : cet aspect est primordial car tout investisseur doit évaluer les risques, les cerner et prendre ses dispositions. Parfois pour évaluer les risques politiques et sociaux, les agences de notations ont recours à des entités tierces, des bureaux de consulting spécialisés ou des rapports officiels de gouvernements étrangers élaborés par leurs ambassades.
2- Structure de l’économie : est-ce une économie planifiée ? une économie mixte ? ou bien une économie de marché où il est possible pour tous d’y entrer et d’en sortir facilement ? Cela revient à pencher sur le climat des affaires y compris le rapatriement des profits et du capital si besoin est.
3- Croissance économique potentielle (goulets d’étranglement) : le but de l’analyse de cet aspect est de savoir si l’économie du pays en question est en mesure de produire un flux de revenus capable de payer ses dettes. Cela revient à se pencher sur la gestion de l’économie et des goulets d’étranglement qui peuvent potentiellement affecter la croissance économique
4- Stabilité fiscale (politique fiscale) : les agences de notation scrutent de près la politique fiscale et son impact sur la croissance économique potentielle et donc aussi sur les investissements publics et privés nationaux et étrangers. Beaucoup de poids est accordé à la stabilité de la politique fiscale. On n’insistera jamais trop sur la stabilité de la politique fiscale. A la limite on peut même avancer que cette stabilité pourrait être plus importante que la politique fiscale elle-même.
Les changements fréquents de la politique fiscale ne peuvent que nuire au climat économique général et surtout à l’investissement. L’investisseur, qu’il soit national ou étranger, a besoin de clarté et de stabilité pour avoir une meilleure lecture et visibilité du climat d’investissement. L’instabilité de la politique fiscale pourrait être perçue comme l’absence de vision, ou pis encore comme l’absence d’harmonie quant à la politique économique du pays. En l’absence de stabilité fiscale peu d’investisseurs prendront des risques ce qui nuirait à la croissance économique potentielle.
5- Dette souveraine interne : la dette souveraine interne représente le montant que doit l’Etat aux agents économiques domestiques en monnaie nationale. La dette du secteur privé n’est pas prise en considération, du moins pour le moment. En simple, le stock de cette dette représente l’accumulation des déficits budgétaires successifs internes qui ont été financés par l’émission d’instruments financiers, tels que bons du Trésor, différents types d’obligation, dans le marché financier interne ou par la planche à billets c’est-à-dire l’émission monétaire dont on reparlera dans l’intitulé suivant.
Le montant de la dette souverain interne est généralement calculé comme un ratio de la Production Intérieure Brute (PIB). Il peut aussi être calculé par tête d’habitant. L’absence d’un marché financier interne mûr et profond pourrait obliger l’état à financer sa dette à travers la planche à billets ou, pis encore, détourner les ressources financières externes pour le financement de la dette au lieu d’investissements productifs. Un tel cas de figure a été vécu par plusieurs pays du Monde arabe durant les années 80 et 90.
Bien plus, le financement de la dette souveraine par une émission excessive sur le marché financier intérieur pourrait nuire au secteur privé interne qui se trouverait alors gelé et souffrirait de manque d’investissement ce qui se répercuterait négativement sur le niveau d’activité économique et donc sur l’emploi et par conséquent sur la stabilité sociale et politique du pays et par ricochet sur la capacité du pays à rembourser sa dette.
6- Stabilité monétaire (politique monétaire) : la stabilité et l’instabilité monétaires sont la résultante directe de la politique monétaire suivie par la banque centrale du pays en question. C’est le cas du moins, dans les économies libérales où la banque centrale jouit d’une autonomie si ce n’est d’une indépendance. Parfois Il faut rechercher les causes de l’instabilité monétaire dans les prérogatives de la banque centrale et du ministère des finances du pays concerné et donc dans les textes juridiques.
Au Royaume Uni, la Banque d’Angleterre, créée en 1694, n’a eu son indépendance qu’en août 1998. La fonction initiale de la Banque d’Angleterre était la stabilité des prix pas plus. Ce n’est qu’en 2011, que cet objectif a été élargi pour inclure la stabilité du système financier, ‘core objective two’ relativement à la stabilité des prix qui devient donc le ‘core objective one’.
Au Japon, la banque centrale est neutre et autonome du Gouvernement mais il existe une coopération organique avec le ministère des Finances qui est représenté au niveau du ‘ Monetary Policy Board’ en plus du ‘Business Lunch’ hebdomadaire entre le Gouverneur de la Banque Centrale et du ministre des Finances.
Le secteur externe
En ce qui concerne le secteur externe, les trois indicateurs principaux suivants sont pris en considération : les réserves officielles internes ; la dette souveraine interne et la dette externe du secteur privé.
1- Réserves officielles externes : les réserves officielles, donc non compris les avoirs des entités privées, représentent le potentiel de payer à temps la valeur des crédits contractés et qui couvrent le principal et les intérêts à payer. Ces réserves de change, gérées par la banque centrale ou par toute autre institution nationale ou étrangère, ainsi que la valeur des réserves d’or, représentent la valeur des devises à la disposition du pays donné. Une parenthèse s’impose. Les réserves d’or sont généralement évaluées selon les prix du marché, mais certains pays, dont l’Algérie et le Liban, préfèrent les évaluer à US$ 43 tel que décidé durant les années 40 lors de la création du Bretton Woods System. Cette attitude permet au pays donné de se doter d’une protection supplémentaire. Cependant, il faut remarquer que les agences de notation évaluent toujours les réserves d’or selon le prix du marché.
A cet égard, une digression s’impose. La fixation du prix de l’or ou London gold price-fixing a lieu deux fois par jour à 10h30 et à 15h. Il est à remarquer que depuis 1919, Londres a toujours été le centre du monde pour fixer le prix de l’or. Pour l’histoire, la première séance pour fixer le prix de l’or eut lieu le 12 Septembre 1919 entre les cinq plus grand Gold Bullion Traders à savoir N M Rothschild & Sons, Mocatta & Goldsmid, Pixley & Abell, Samuel Montagu & Co et finalement Sharps Wilkins. De nos jours cinq banques ont la responsabilité de cette opération : Scotia- Mocatta, Barclays Capital, Deutsche Bank, Hong Kong and Shanghai Banking Corporation (HSBC) et Société Générale.
Il faudrait ajouter que la valeur finale des réserves de change dépend des variations des taux de changes des monnaies qui constituent le portefeuille du pays donné ainsi que le prix de l’or. Au moment ou nous écrivons ces lignes, un communiqué commun du Ministère des Finances et de la Banque d’Algérie annonce que l’Algérie a prêté la somme de US$ 5 milliards au Fonds Monétaire International et, juste titre, ajoute que cet emprunt libellé en Droits de Tirage Spéciaux (DTS). Selon le communique ceci ‘ atténuera les risques de changes’.
Enfin, il est à noter que les agences de notation prennent en considération le fait que ces réserves de change sont aussi utilisées pour payer les importations. A l’heure actuelle, pour les institutions internationales dont le FMI et la Banque Mondiale, la tendance est de trouver la valeur maximale judicieuse des réserves de changes. Ceci est le résultat de certains petits pays ayant accumulé des réserves de changes considérables. C’est dire qu’il y a une limite à leur importance en ce qui concerne la notation.
2- Dette souveraine interne : elle est prise en considération car en cas de déficit, le pays concerné sera obligé de recourir à ses réserves de changes. Les agences internationales de notation considèrent la dette souveraine interne dans sa globalité, c’est-à-dire la dette de l’Etat concerné, la dette des institutions dépendantes directement et organiquement de l’Etat, mais aussi de toute autre institution paraétatique qui bénéficierait de l’intervention de l’Etat en cas de difficultés financières. Donc plus le secteur public s’élargit et plus la responsabilité de l’Etat augmente.
Domestiquement, l’Etat dispose des trois options suivantes à savoir faire fonctionner la planche à billets, c’est-à-dire imprimer les billets de banque ce qui signifie pratiquement la banque centrale faisant des avances au Trésor public, émettre des obligations par le biais du Trésor sur le marché monétaire national et enfin utiliser ses réserves internationales, c’est-à-dire convertir de telles réserves en monnaie locale pour financer son déficit budgétaire et aussi le déficit des institutions paraétatique. Les agences de notation prennent en considération le volume de cette dette publique car il influe négativement sur le niveau de croissance économique ainsi que sur le volume des réserves internationales, deux indicateurs très importants quant à la capacité du pays donné à s’acquitter de ses dettes internationales à temps.
3- Dette extérieure du secteur privé : certains pourraient se demander pourquoi la dette du secteur privé est prise en considération. La raison majeure est qu’en cas de défaillance d’une entité économique privée, l’Etat, en dernier ressort, est obligé d’intervenir surtout si ces entités sont des banques ou des compagnies d’assurances. La crise financière de 2008 qui a secoué le monde et surtout la zone Euro est un cas type. Les pays européens, tels que la Grèce, l’Espagne et bien d’autres, ont été obligé d’intervenir. Il faudrait ajouter que dans ce contexte, la notion de secteur privé dépasse le secteur bancaire et financier pour englober toutes les compagnies et sociétés non étatiques et non paraétatique. La raison de cette extension réside dans le fait que les difficultés rencontrées par le secteur privé pourraient entraîner des risques politiques et sociaux.
A suivre

*Fondateur /Directeur Général, International Business School-IBS Oran, Algérie
Ancien Expert Financier au Fonds Monétaire Arabe, Abou Dhabi, Emirats Arabes Unis
Auteur
Ancien Professeur d’Université des Sciences Economiques : Algérie, Jordanie
