Fabrique politique de la haine : Danger sur les Algériens en Europe

Les cris déchirants de Rahma Ayat ont résonné une dernière fois dans la cage d’escalier de son immeuble de Hemmingen, au sud de Hanovre en Allemagne. Poignardée à plusieurs reprises à la poitrine et à l’épaule, cette Algérienne de 26 ans, venue se former aux métiers de la santé, a succombé dans une mare de sang sous les yeux de voisins impuissants. Le suspect, un ressortissant allemand connu pour ses positions d’extrême droite, aurait hurlé des insultes racistes avant de passer à l’acte.

Ce drame s’inscrit dans une série inquiétante d’attaques visant des personnes perçues comme musulmanes ou nord-africaines, dans un climat politique où la parole raciste se banalise à une vitesse alarmante. Une semaine après ce drame, l’Allemagne n’a toujours pas communiqué officiellement sur les motifs du crime, laissant la communauté algérienne locale sous le choc et livrée à elle-même.
Un autre drame a de nouveau bouleversé la communauté algérienne installée en Europe, ce vendredi 11 juillet. En effet, les médias helvétiques ont rapporté un homicide survenu dans la petite ville de Heerbrugg, située dans le canton de Saint-Gall, en Suisse orientale. Un adolescent de 17 ans, de nationalité algérienne, a été retrouvé mort, poignardé à plusieurs reprises. Le corps de la victime a été découvert aux premières heures de la matinée, à 3 h 45, sur le quai de la gare de Heerbrugg.
À cette heure, aucun suspect n’a encore été arrêté, et l’identité de la victime n’a pas été rendue publique, conformément aux usages en vigueur dans les affaires criminelles en cours. La communauté, quant à elle, attend des réponses et espère que justice sera rendue.
Originaire d’Oran, Rahma incarnait l’espoir d’une génération : arrivée en Allemagne pour devenir infirmière, elle a été sauvagement assassinée par un voisin de 31 ans, dont les possibles antécédents racistes n’ont pas été officiellement confirmés par les autorités. Pendant plusieurs jours, son meurtre est resté sous silence médiatique et institutionnel troublant. Ce n’est que sous la pression de la diaspora algérienne que les premiers détails ont filtré : Une mobilisation communautaire est nécessaire pour briser l’omerta policière. Un suspect arrêté, mais des motivations toujours inconnues, malgré des sources évoquant un mobile raciste. La procédure judiciaire est opaque caractéristique du traitement réservé aux crimes visant les étrangers.
L’Europe est à nouveau confrontée aux conséquences les plus brutales de la xénophobie : la violence physique et la haine armée. Derrière chaque attaque raciste se cache un long travail d’accoutumance. Ce travail s’opère à travers les discours politiques, médiatiques et sociaux qui font du migrant, du musulman, du « Nord-Africain », un problème.

Les Algériens dans le viseur

En France, en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas et un peu partout en Europe, les figures de l’extrême droite, mais aussi une partie croissante de la droite dite « classique », se relaient pour désigner un ennemi intérieur : l’« islamisme », l’« insécurité migratoire », le « remplacement culturel ».
Ces expressions, martelées à longueur de plateaux télévisés, de tribunes et de campagnes électorales, dessinent un portrait anxiogène de l’autre. Peu importe que la majorité des musulmans européens soient nés ici, qu’ils soient citoyens, travailleurs, parents, étudiants : le discours public les réduit à une altérité menaçante. À force, ces mots sortent du cadre symbolique. Ils nourrissent les fantasmes, légitiment les peurs, déshumanisent. Puis, ils glissent lentement mais sûrement vers l’acte.
Les ressortissants algériens, en particulier, paient un lourd tribut à cette spirale. Déjà stigmatisés, ils sont aujourd’hui exposés à une double peine : celle d’être catalogués comme « arabes » et « musulmans », donc comme une menace dans l’imaginaire xénophobe. En France, les agressions ciblées contre des personnes d’origine algérienne se sont multipliées ces dernières années : insultes dans la rue, attaques physiques, harcèlement policier. En Italie, une jeune femme originaire de Constantine a été violemment agressée à Rome en 2023. En Allemagne, avant même l’assassinat de Hanovre, des mosquées et des commerces tenus par des Algériens ont été vandalisés.
Le cas de Hemmingen est glaçant: une femme rentre chez elle, un homme la repère, la harcèle, puis la tue, parce que son accent trahissait ses origines, parce qu’elle n’était pas « d’ici ». Le meurtrier ne s’en cache pas : il a agi par haine. Mais cette haine n’est pas née spontanément. Elle a été cultivée, arrosée par des années de discours politiques accusant les musulmans de ne pas s’intégrer, de rejeter les « valeurs européennes », d’« envahir » les villes. Elle a été validée par les silences complices, les campagnes électorales fondées sur la peur, les lois discriminantes adoptées.
En Allemagne, après le meurtre de Rahma, les autorités ont d’abord hésité à qualifier l’acte de « crime raciste », préférant parler d’« acte isolé ». En France, les agressions islamophobes sont encore largement sous-documentées, faute de volonté politique d’en faire un sujet prioritaire. Il est temps de nommer les choses : la parole xénophobe tue. Ce ne sont ni des « dérapages » ni d’« inquiétudes légitimes », ce sont les rouages d’une machine de haine qui, à force de tourner, finit toujours par broyer des vies. À chaque fois qu’un responsable politique amalgame immigration et criminalité, il alimente cette fabrique de haine. Et dans cette fabrique, les couteaux ne sont jamais très loin. L’assassinat de Rahma s’inscrit dans une inquiétante série d’attaques visant des Algériens à travers l’Europe. Derrière ces violences, un terreau politique fertile.
Le rapport du ministère français de l’Intérieur « Frères musulmans et islamisme politique en France » (mai 2025) participe d’une stigmatisation institutionnalisée des musulmans, qualifiés de menace pour la laïcité. Cette rhétorique n’est pas isolée: La banalisation médiatique de termes comme « islamo-gauchisme » ou « grand remplacement », la montée des partis d’extrême droite dans les sondages européens (plus de 30% d’intentions de vote pour le RN en France) et surtout un discours « décomplexé » sur l’immigration qualifiée de « danger civilisationnel » par plusieurs ministres. Ces éléments idéologiques ont des conséquences tangibles. Comme le souligne un rapport européen accablant, 21% des Européens déclarent avoir subi des discriminations raciales au cours de la dernière année, un chiffre qui bondit à 50% pour les personnes d’origine africaine. Les jeunes et les musulmans sont les premières cibles.

Le bouclier diplomatique de l’Algérie

Face à cette déferlante, l’Algérie a réagi. Jeudi 10 juillet, l’ambassadeur d’Allemagne en Algérie, Georg Felsheim, a été convoqué d’urgence par le secrétaire d’État Sofiane Chaib. L’Algérie exige désormais des mesures concrètes : « Renforcer les mesures visant à garantir la sécurité des membres de notre communauté en Allemagne », a insisté Chaib, soulignant le « crime odieux » qui a coûté la vie à Rahma. La convocation de l’ambassadeur allemand n’est pas un geste isolé, mais le point culminant d’une stratégie de protection de sa diaspora : Demande officielle de sécurisation des ressortissants algériens en Allemagne, examen des relations bilatérales pour renforcer la coopération consulaire et dénonciation systématique des agressions. Cette position ferme contraste avec l’inertie des États européens. Pourtant, les solutions existent : augmentation des budgets éducatifs contre les préjugés, criminalisation des discours de haine en politique, et surtout, reconnaissance officielle de l’islamophobie structurelle comme facteur de violence. La xénophobie, le racisme et les discriminations font partie de ces armes de division qui alimentent les fractures et permettent aux idéologies identitaires et à l’extrême droite de progresser partout. L’Europe parviendra-t-elle à écouter Rahma, cette étudiante d’Oran dont le sang résonne désormais dans les escaliers de l’indifférence ? Son assassinat n’est pas un « fait divers », mais le symptôme d’un mal profond qui ronge l’Europe. Tant que les discours de haine continueront d’être instrumentalisés pour conquérir le pouvoir, le couteau du voisin de Hemmingen restera suspendu au-dessus de toutes les Rahma venues étudier, travailler ou simplement vivre en paix.
G. Salima

Bouton retour en haut de la page