Ce que j’en pense: Le « 3aïn » en streaming

Par Moncef Wafi

Le mauvais œil n’a plus besoin de ricaner derrière une fenêtre ou de pointer du doigt un passant. Il a pris un abonnement internet, il s’invite dans les notifications, les stories, les filtres TikTok et même dans les mails qu’on n’ouvre jamais. Une photo innocente devient une arme, un like un sortilège, et un commentaire banal, une malédiction planétaire. Le malheur est partout, il est instantané, HD et parfois en slow motion.
Avant, un peu de sel derrière la porte ou un œil bleu au mur suffisait. Aujourd’hui, il faut bénir le modem, sacrifier le cloud, et prier pour que personne ne capture ton sourire raté dans une story. Même les chats semblent complices : leurs yeux brillants reflètent les GIFs animés de sorcellerie qui circulent comme des virus. Les filtres qui promettaient de rendre le visage joli se transforment en talismans de malheur. Le moindre clignement d’œil, le moindre geste innocent devient un vecteur de sort.
Il frappe avec une précision clinique. Le dîner est prêt ? Malheur. Le café fume encore dans la tasse ? Malheur. La lessive est pliée ? Malheur. Rien ne lui échappe. Le téléphone devient oracle, les notifications prophéties, et les emojis incantations. Même le vent semble porter ses murmures numériques. Le monde entier se retrouve sous sa surveillance invisible et légère.
Le pire, c’est sa ponctualité. Il surgit exactement au moment où tout semble tranquille, comme pour rappeler que le quotidien est une scène comique où chacun joue à la fois le rôle de victime et de complice. On rit, on poste, on like, on espère que l’humour suffira. Dans cette ère nouvelle, la magie ne se cache plus dans les ruelles sombres : elle circule dans le cloud, et chaque utilisateur, volontairement ou non, devient acteur et spectateur de sa propre malédiction.
Et pourtant, il suffit parfois d’un sourire, d’un filtre un peu idiot, pour que le mauvais œil se perde, décontenancé. Il revient alors, un peu plus rusé, mais toujours poli : l’art de punir avec élégance.

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