Économie numérique : L’essor silencieux des micro-influenceurs

Dans les ruelles d’Oran, d’Alger ou des grandes villes, derrière une caméra posée à la va-vite, une capsule humoristique improvisée ou une story du quotidien, se joue une révolution discrète : un revenu naissant et croissant. Les dons en direct, les abonnements et le mécénat en ligne glissent entre les mailles de l’économie officielle et de la publicité traditionnelle. De jeunes créateurs algériens, parfois suivis par quelques milliers d’abonnés seulement, transforment ainsi leur influence en monnaie sonnante et trébuchante.

Début 2025, l’Algérie comptait 36,2 millions d’internautes, soit 76,9 % de la population, et 25,6 millions d’utilisateurs de réseaux sociaux. Ce réservoir d’audience donne aux micro-communautés locales la capacité de soutenir financièrement leurs créateurs. Sur TikTok, les spectateurs envoient des « gifts » pendant les lives ; ces cadeaux convertis en « Diamonds » sont encaissables selon les règles de la plateforme. YouTube a introduit ses propres outils de cadeaux en direct, complétant Super Chat et Super Thanks. Des services comme Patreon permettent des abonnements mensuels, souvent entre 200 et 500 DA, donnant accès à du contenu exclusif. Certains créateurs ajoutent même des QR codes pour recevoir des transferts directs.
À l’échelle mondiale, Patreon affirme avoir déjà reversé plus de 10 milliards de dollars à ses créateurs. Localement, les revenus sont modestes mais réels : un micro-influenceur DZ qui anime des lives réguliers peut percevoir de quelques centaines à plusieurs dizaines de milliers de dinars selon l’événement, même après frais et conversion de devises. Ce modèle fonctionne parce que la proximité nourrit la confiance : les abonnés ont le sentiment d’appartenir au même quartier, le donateur voit son nom affiché en direct et la dédicace crée un lien immédiat. Ces dons complètent d’autres revenus irréguliers comme les petits placements locaux ou la vente de produits.
Imad, créateur oranais suivi par 8 000 à 12 000 personnes, raconte : « Je faisais ça pour le plaisir, puis j’ai ajouté un bouton de don. Un soir de live, pour une collecte de matériel, j’ai reçu des dizaines de petits dons de 100, 200, 500 DA. À la fin, presque 15 000 DA. » Ce montant ne lui permet pas de vivre, mais il a pu s’offrir un micro correct et un éclairage. « C’est le don du voisin, pas d’un inconnu riche. Mais ça compte », insiste-t-il.
Cet essor attire aussi l’attention des autorités. En septembre dernier, le ministère de la Poste et des Télécommunications avait convié les influenceurs à une rencontre pour « ouvrir un espace de dialogue et de collaboration » et rappeler les obligations légales. Sid Ali Zerrouki, accompagné de son homologue de la Communication, a insisté sur le caractère pédagogique de l’initiative : pas de sanction immédiate, mais un rappel clair : tout contenu sponsorisé doit être déclaré et la fiscalité s’applique aux revenus numériques.

Les rappels à l’ordre de l’Etat

Depuis avril 2021, le Centre national du registre du commerce a ouvert un code d’activité «influenceur sur les réseaux sociaux » (617040). Il permet aux créateurs de s’enregistrer comme commerçants et de déclarer leurs revenus, mais l’inscription reste en pratique peu contrôlée et le droit algérien n’établit pas de seuil précis d’audience pour être reconnu influenceur. Un projet de loi, discuté en 2025, prévoit de renforcer la transparence, d’imposer la déclaration des revenus numériques et de sanctionner la publicité dissimulée. Les autorités veulent ainsi encadrer un secteur qui échappait largement au fisc et aux règles de la communication commerciale.
Noureddine, 31 ans, 200 000 abonnés sur Instagram, raconte : « J’ai commencé par poster des petites vidéos pour m’amuser avec mes amis. Au début, je filmais juste mon quartier, les marchés, la mer d’Oran au coucher du soleil. Petit à petit, les gens ont commencé à partager mes vidéos et les abonnés ont augmenté. Aujourd’hui, on est plus de 200 000 à suivre ce que je fais. Franchement, je ne m’attendais pas à ça.
Avec le temps, j’ai découvert que ce que je fais peut aussi rapporter un peu d’argent. Pendant les directs, les gens envoient des petits cadeaux, des « gifts ». Quand on les transforme en argent, ce n’est pas énorme, mais ça aide beaucoup. Parfois, je reçois aussi des propositions de pubs ou des petits partenariats. Ce n’est pas un vrai salaire mais c’est déjà quelque chose.
Quand j’ai entendu que le ministère a rappelé aux influenceurs qu’il fallait déclarer les revenus, ça m’a fait réfléchir. Je comprends qu’il faut des règles, mais pour nous, ce n’est pas simple. On ne sait pas vraiment où aller, ni quel papier remplir. Beaucoup d’amis qui créent du contenu sont perdus. Certains pensent qu’ils vont arrêter parce qu’ils ont peur de faire une erreur.
Moi, je veux continuer. Je veux faire les choses correctement, mais j’aimerais qu’on nous explique mieux. Qu’il y ait un bureau ou un site où on peut avoir les informations clairement. On est beaucoup en Algérie à faire ce travail, même si au départ c’était juste pour le plaisir. Maintenant, c’est une vraie activité. Si on nous accompagne, on pourra la faire grandir et être en règle sans avoir peur. »
Pour l’instant, les dons constituent une source fragile. Les plateformes prélèvent leurs commissions, la connexion reste parfois instable, et nombre de créateurs ignorent les démarches fiscales. Les risques existent : contenus volontairement provocateurs pour inciter au don, fraude aux cadeaux, voire censure si un sujet est jugé sensible. Mais l’exemple de Madjid montre que ces dons sont déjà un soutien concret, capable d’acheter du matériel et de donner confiance.
Pour que cette économie devienne durable, plusieurs conditions doivent se réunir : formation des créateurs à la gestion, aux droits d’auteur et à la fiscalité ; solutions de paiement locales permettant de convertir facilement les dons étrangers en dinars ; transparence contractuelle ; et, côté État, un cadre légal clair avec accompagnement plutôt que répression.
O.A Nadir

Bouton retour en haut de la page