Abderrahmane Fardeheb : Une pensée humaniste assassinée
Abderrahmane Fardeheb enseignait l’économie à l’université d’Oran dans les années 1990. Il était menacé depuis longtemps, mais choisit de vivre presque normalement. Le 26 septembre 1994, il fut assassiné sous les yeux de sa fille, qu’il accompagnait chaque matin à l’école.
Sa mort n’a pas seulement fauché un père aimant ; elle a brisé une voix critique, un intellectuel capable de penser le lien entre violence locale et enjeux économiques globaux. Son épouse, Zoulikha, a porté ce double fardeau : élever ses enfants et préserver sa mémoire. Quelques années plus tard, elle publia Les fossoyeurs de ton idéal, hommage à Fardeheb et dénonciation de la barbarie.
Fardeheb n’était pas un simple professeur. Ses travaux sur l’économie du développement et la politique industrielle étaient concrets : rééquilibrer le rapport capital/travail ; soutenir les entreprises nationales sans tomber dans la dépendance étrangère et préserver la dignité sociale face à la mondialisation. Il comprenait que la guerre, le marché des armes et la rente pétrolière ne sont pas des phénomènes isolés, mais des « engrenages d’un capitalisme militarisé « qui structure la planète et fragilise les sociétés. Ses analyses montraient comment les fanatismes peuvent servir des intérêts économiques et politiques.
L’Algérie des années 1990 a connu une décennie sanglante. L’obscurantisme voulait étouffer toute pensée critique et ramener le progrès aux ténèbres. Sa mort symbolise cette tragédie : un effacement à la fois intime et collectif. L’université a perdu une boussole, la société une conscience. Aujourd’hui, ses intuitions restent pertinentes. Face à la financiarisation, à l’économie de guerre et à la dépendance technologique, son héritage impose de questionner les systèmes, de défendre la justice sociale et de placer l’humain au centre des choix économiques. Ce qui animait Fardeheb était simple : humaniser la société. Cette exigence, fidèle à l’humain, demeure la force de sa pensée.
Adnan Hadj Mouri